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La lumière de la mémoire

Interview de Guido Harari à l’occasion de l’exposition « Remain in Light »

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Published: 21 oct. 2022
Guido Harari – Remain in Light est une exposition d’anthologie (au Mole Vanvitelliana d’Ancône, à voir jusqu’au 16 novembre) qui retrace les cinquante ans de carrière du grand photographe. Au fil des années Harari est parvenu à montrer la personne qui se cache derrière la célébrité, l’âme derrière le personnage, en pointant son objectif sur des artistes en tout genre, en se concentrant certaines années surtout sur la musique, de Frank Zappa à David Bowie, de Paolo Conte à Bob Dylan, de Vasco Rossi à Ennio Morricone. Au Mole Vanvitelliana d’Ancône, parmi plus de trois cents photographies, installations, projections, pochettes de disques et films, la carrière d’Harari est retracée en rechargeant la mémoire d’un siècle rock.


Partons du titre de l’exposition, Remain in light, qui positionne au centre de la photographie, et de votre parcours, la lumière.

J’avais ce titre en tête depuis longtemps, avec un autre auquel je pensais cependant, toujours en rapport avec la lumière, mais à connotation négative, You Want It Darker, d’après une chanson de Leonard Cohen, tirée de son dernier disque. C’est un disque que j’ai beaucoup écouté, qui m’a fortement conditionné psychologiquement et a déterminé une forme d’amoncellement en postproduction des photos de l’exposition et du livre. Puis c’est Remain In Light que j’ai préféré, aussi parce que l’on sortait de la phase la plus délicate de la pandémie. Remain In Light est non seulement l’exhortation que le photographe lance à son sujet quand il tend à sortir du cône de lumière qu’il a préparé, mais c’est presque une prière pour que la mémoire ne s’évapore pas, ne soit pas engloutie dans l’obscurité dans laquelle nous vivons. Enregistrer la mémoire de personnes et d’une époque fait partie des missions de cette exposition, dans une époque liquide où tout passe et disparaît très vite.


Ceci se voit beaucoup dans les portraits de certains grands artistes. « Je suis toujours heureux quand Guido me prend en photo, car je sais que ce sera une photo musicale et qu’elle dégagera aussi poésie et sentiment. Les choses qu'il capte avec ses portraits sont en général ignorées par les autres photographes », a dit Lou Reed.

J’ai toujours été très curieux de connaître les personnes derrière les personnages. Jeune, je savais déjà que je ne resterais pas qu’un fan qui consomme disques et concerts de façon passive : les artistes que j’aimais étaient des porteurs sains de culture et d’inspiration. Et la photographie, qui était mon autre passion, m’a indiqué le langage et l’outil pour les approcher. Nombre de mes sujets ont tout de suite compris que les prendre en photo n’était pas un travail, une profession pour moi : il fallait cultiver une sensibilité, une empathie, qui allaient bien au-delà de l’aspect professionnel. Ceci ne s’applique pas qu’aux musiciens, mais à tous les personnages sur lesquels je me suis attardé, de la culture au spectacle, au design, à la mode, au sport, à l’entrepreneuriat, à la science. Une accolade globale.
Dori Ghezzi et Fabrizio De André © Guido Harari
Dori Ghezzi et Fabrizio De André © Guido Harari
Cette curiosité se voit en particulier sur les photos qui sont à mi-chemin entre public et privé, comme celle de Dori Ghezzi qui coupe les cheveux à Fabrizio De André.

Avec beaucoup d’artistes, il n’y a jamais eu de stratégie. Même si les photos avaient déjà un usage déclaré, destinée à la pochette d’un disque ou aux journaux, il n’y a jamais eu l'angoisse de rester dans les schémas : une dimension authentique, de vraie vie devait être vécue, et c’est de là que venaient bien souvent les meilleures inspirations. C’est ainsi que cela s’est passé avec Fabrizio De André et la célèbre photo sur laquelle il est endormi par terre contre un radiateur. Même chose aussi avec Tom Waits courant avec son manteau, ou avec Morricone qui, pour me provoquer, a décidé de se cacher derrière une porte en ne montrant que ses inimitables lunettes. L’interaction du moment a créé ces images. Il faut donc savoir improviser. On m’a défini de photographe rock, mais on pourrait alors dire que je suis aussi un photographe jazz.


Vous avez longtemps travaillé avec les magazines. Aujourd’hui, le papier imprimé redevient tendance, aussi bien sous forme d’une récupération vintage que de nouveau fandom. Qu’en pensez-vous ?

Cela m’intrigue beaucoup, peut-être que le phénomène est dû à la nostalgie éprouvée par les plus jeunes de ne pas avoir de traces solides de mémoire : je pense à tous ceux qui ont perdu leur téléphone portable, ou aux personnes dont le téléphone s’est cassé avant qu’elles puissent enregistrer les données qu’il contenait. Aux époques solides qui ont précédé l’actuelle modernité liquide, il était plus facile de conserver tout genre de trace de mémoire. Ceci explique peut-être le retour du succès du vinyle.
Ennio Morricone © Guido Harari
Ennio Morricone © Guido Harari
Quel effet vous fait l’exposition d’Ancône ? Au fond, elle est une célébration de votre travail, de votre carrière.

Le terme célébration est excessif. Quand on sort à nouveau après deux ans de confinement et de distanciations, avec l’envie de recommencer à se lancer sur de nouvelles voies, un bilan s’impose. Pour moi, l’année 2022 est particulière car il y a 50 ans que je suis photographe et j’aurai 70 ans en décembre. Des nombres ronds qui invitent aux bilans. En tant qu’éternel inquiet, en travaillant à cette exposition il était intéressant de re-parcourir les années que j’ai consacrées à la musique, mais aussi tout le reste, jusqu’aux livres que j’ai considérés comme le fait de « photographier sans appareil ». Cette exposition a plusieurs âmes, à la façon des poupées russes. Comme avec la section dédiée aux excellences italiennes de chaque domaine, ou celle, justement, consacrée à certains de mes livres que je trouve très importants. J’avais envie de montrer combien mon parcours s’était diversifié dans les années, entre envies et désirs qui mènent ensuite toujours à la création de mémoire qui crée à son tour de la mémoire. La Caverne magique, un plateau que j’ai installé moi-même certains jours à l’intérieur de l’exposition pour réaliser des portraits, est une autre source de création de mémoire, qui me permet de regarder dans les yeux la ville qui m’accueille, Ancône dans ce cas.


Comment vous sentez-vous de l’autre côté de l’appareil photo, quand vous êtes le sujet ?

En général je prends tout comme un jeu, avec beaucoup d’ironie. Car il s’agit toujours d'un jeu. Je ne pense pas avoir de grandes révélations à offrir à mon sujet. Je m’immole avec un grand amusement, mais j’estime que les photographes, comme les grands compositeurs d’antan, doivent rester anonymes, invisibles. Même si l’exposition sur les réseaux sociaux pousse à l’inverse, les photographes doivent se mettre à la place de leurs sujets. Le photographe doit toujours prendre un peu de recul, et laisser les réflecteurs et l’attention générale à ses sujets et à la narration qu’il souhaite transmettre.